D’habitude une ville qui ne dort pas, Moscou est étrangement calme, les rues désertes, les cafés et restaurants fermés, les cloches des églises muettes. Le télétravail permet de pallier le plus pressé, mais ne permet plus les multiples contacts informels dont sont faites les affaires en Russie.
La crise du COVID 19 a pris la Russie dès début février. Les autorités ont alors bien anticipé l’évolution de l’épidémie en Chine en fermant la frontière avec ce pays. Mais, voyant en elle « un virus porté par des étrangers », elles ont été débordées quelques semaines plus tard par le développement de cette crise sanitaire en Europe et le retour massif des ressortissants russes qui s’y trouvaient, notamment d’Italie. Ce sont eux qui ont largement apporté et propagé le virus dans le pays.
Le pouvoir central, Vladimir Poutine le premier, a réagit et continue de réagir très progressivement donnant d’abord une semaine prolongée ensuite à un mois supplémentaire de « congés payés » alors qu’il était clair depuis le début que cela serait insuffisant. Politiquement, il a du se résoudre à reporter le référendum destiné à avaliser sa réforme constitutionnelle. En matière économique, les trains de mesures d’accompagnement paraissent bien faibles par rapport à celles prises dans l’Union Européenne ou aux Etats-Unis. Surtout, elles paraissent être mises en œuvre avec un temps de retard et destinées plus à traiter les conséquences sociales de la crise économique qu’entraîne la pandémie.
Les producteurs de pétrole russes, et notamment Rosneft, ont, en outre, profité de la crise pour lancer un bras de fer, avalisé par le pouvoir central, avec leurs concurrents saoudiens et américains. Etait-ce le bon moment et en ont ils vraiment profité ? N’ont ils pas sous-estimé la profondeur de la crise qu’ils ont eux même créé ? Je laisse les analystes du marché pétrolier se prononcer mais la chute du rouble et des recettes pétrolières, certes, mais aussi gazières, le prix du gaz étant indexé sur le prix du pétrole ont amené le ministre de l’Energie, Alexandre Novak, à trouver bien vite le 10 avril un compromis jugé décevant par les marchés (pour le seul mois d’avril, la chute du rouble et du prix du pétrole ont entraîné une perte de 726 milliards de USD pour le budget fédéral)
Une personnalité émerge toutefois, le maire de Moscou, Sergey Sobianine, qui a pris dès le départ les mesures sanitaires les plus fortes, entraînant le pouvoir central et les autres gouverneurs à l’imiter. Certes, Moscou est le centre de la pandémie en Russie, totalisant la moitié des cas, mais son implication personnelle, son dynamisme, sa compréhension des problèmes en font un personnage incontournable. Il préside d’ailleurs le Comité de coordination des régions contre la pandémie. La suite des événements montrera s’il pourra transformer cette stature en celle de possible successeur à la magistrature suprême.
Vu de Moscou, la Russie a pourtant trois avantages :
- L’Etat russe dispose de ressources financières considérables : 152 milliards USD dans le Fonds de bien être national et près de 500 milliards USD de réserves de devises de la banque centrale. On peut penser que le Kremlin ne veut pas « griller ses cartouches » et attend d’avoir une idée de l’ampleur de la crise pour mettre les moyens en face.
- L’étendue de son territoire permet d’isoler et de confiner dans leur ensemble certains chantiers prioritaires (comme la construction de la phase 2 du gazoduc vers la Chine) ou centre de production de pétrole et de gaz permettant la continuation des travaux ou de leur exploitation. La production industrielle a elle même repris assez rapidement, par rapport à celle de l’Union Européenne, après 15 jours d’arrêt, les gouverneurs étant chargés de la mise en oeuvre au cas par cas.
- Une population résiliente, les plus âgés ayant déjà vécus de nombreuses crises : chute de l’Union Soviétique, crise économique des année 90… Remarquons que ceci se traduit dans le chiffre des infections, les jeunes étant en Russie beaucoup plus plus infectés que les anciens : 43% ont entre 18 et 45 ans, 37% entre 46 et 65 ans.
Dans cet environnement pour le moins incertain, le business français et, plus largement, européen, fait le gros dos. Les grandes entreprises industrielles se félicitent de la reprise de la production même si ce n’est pas si simple (les usines automobiles ont, par exemple, rouvert mais les concessionnaires sont fermés), le secteur de l’énergie a les yeux fixés sur les décisions des russes pour sortir de la crise pétrolière qu’ils ont contribué à amplifier. Beaucoup plus compliquée est la situation des entreprises dans la distribution (les russes boudent les supermarchés situés en périphérie des villes pour un commerce de proximité) ou les PME notamment dans la restauration qui sont à l’arrêt. Personne n’a, pour l’instant, annoncé de fermeture définitive ou de sortie du marché russe mais les mesures anti-crise que sauront mettre en place les autorités russes, seront pour beaucoup dans la prise de décision.
Quelles retombées sur la relation entre la France et la Russie ? Malgré une amélioration dans la sémantique des Présidents Macron et Poutine, la méfiance demeure dans « les Etats profonds ». La crise sanitaire détourne l’attention : toutes les visites officielles, dont celle de Bruno Le Maire début avril, ont bien évidemment été suspendues. Le défilé du 75ème anniversaire de la Victoire le 9 mai, auquel le Président Macron avait annoncé sa venue, est reporté à une date ultérieure. Point positif, le rapatriement des Français de passage en Russie et des Russes de passage en France après les mesures de fermeture des frontières, s’est passée en bon ordre, dans une bonne coordination entre les autorités françaises et russes.